Maman Voyage

Ma peur de traverser le Pacifique

Les angoisses cela ne s’explique pas.
Les peurs ont rarement de fondements rationnels sinon il serait bien trop facile de les vaincre.

Certains ont peur des araignées, des serpents, de l’avion (je connais le problème !), de l’ascenseur, ou pire du lendemain… Mais aucune de ces peurs n’est ridicule même si elle en a l’air. Elles sont toutes sérieuses car elles sont personnelles et traduisent bien souvent la complexité de nos personnalités, de nos histoires, de nos émotions.

Donc certains trouveront ma peur du Pacifique bien stupide ou futile mais finalement les adjectifs n’ont aucune importance : ma peur est là et son existence perturbe la mienne.

Faire face à ses peurs semble une thérapie raisonnable. Alors j’ai décidé de vous en parler aujourd’hui pour extérioriser, peut-être exorciser la vilaine.

Suis-je la seule à avoir cette peur de traverser l’Océan Pacifique ? Je n’ai jamais entendu personne parler de cette angoisse. En même temps, rares seraient les occasions pour en discuter autour d’une tasse de thé. Ou y-a-t-il d’autres âmes tourmentées embarquées dans la même galère que moi ? Cela dit, avoir peur du Pacifique ou d’autre chose finalement c’est souvent similaire. Les mécanismes sont les mêmes : vous avez peut-être peur des chenilles (la personne concernée se reconnaîtra ;-)) et moi du Pacifique mais je suis certaine que nous avons quelques points en commun et que nous pourrons nous comprendre.

Me confronter à ma peur. Ne pas l’ignorer. En 2007 déjà, nous sommes partis pour un Tour du Monde à l’occasion de notre voyage de noces et là j’ai fui : je parle toujours de « tour du monde » mais en vrai nous avons réalisé un aller-retour entre Paris et Mexico City puis un autre aller-retour entre Paris et Shanghai. On aurait pourtant pu passer du Mexique à la Chine… En traversant le Pacifique ! Alors oui, j’ai facilement pu prétexter que c’était moins cher de faire escale à Paris (et c’est pas faux) et que c’était sympa de fêter le Nouvel An à Paris entre deux avions (là en fait c’est un peu étrange comme sensation… Rentrer pour quelques heures… On se sent là sans y être). Bref, des arguments j’en avais mais la vraie raison c’est que le Pacifique je voulais pas le traverser. No way.

Quelques années plus tard nous revoilà : j’annonce d’emblée un Tour du Monde, pour me mettre la pression, mais en même temps on ne boucle pas l’itinéraire et on envisage deux routes : parce que forcément quand on est en Océanie c’est la même distance de passer d’un côté ou de l’autre… Donc on a pensé à un retour par Hong-Kong, la Chine, l’Europe de l’est. Cela n’aurait pas été un Tour du Monde mais une boucle. Et puis on a pensé à un retour par l’Amérique Latine que j’aime tant mais… il faut traverser le Pacifique !

Depuis que nous sommes arrivés en Nouvelle-Zélande, il me nargue cet océan. La plupart des soirs, nous nous posons face à lui pour la nuit et il me tient tête, m’impressionne avec ses vagues fracassantes. Je l’entends depuis le campervan. Il me murmure à l’oreille que je dois décider. Traversée du Pacifique ou pas ?

Alors même s’il ne sert à rien de chercher des raisons car les plus grandes peurs n’en ont certainement pas et bien j’en cherche quand même. C’est un passe-temps que les personnes angoissées aiment beaucoup : chercher des raisons à des choses irrationnelles. Une sorte de divertissement.

Pourquoi ai-je peur de traverser cet océan ? Parce que j’ai peur de l’avion et que le trajet est particulièrement long entre l’Océanie et l’Amérique Latine ? La peur de l’avion n’aide pas j’en conviens mais je vais quand même bien mieux de ce côté-là depuis mon stage. Et puis ok : il y a 11h de vol entre Auckland et Buenos Aires mais j’ai souvent parcouru cette distance pour aller en Asie ou en Amérique. J’adore pas mais ça passe et je n’hésite pas à repartir pour de longs trajets quand j’en ai l’occasion. Donc la durée du trajet en avion n’est pas LA raison.

Le problème c’est le nom ? PACIFIQUE : un mot si paisible qu’il en devient mortel. Il rappelle la FIN, celle à laquelle nous serons tous confrontés. Mouais, je sais pas – je ne me laisse pas souvent impressionner par un mot.

Non, je dirais plutôt que c’est le vide : l’immensité de cet océan me donne le vertige, le même qui me rendrait folle si on m’envoyait dans l’espace. Le Pacifique c’est « trop » grand. Oui mais « trop » ça veut pas dire grand chose… Traverser l’Atlantique c’est déjà quelque chose et je l’ai fait plusieurs fois. Pas aisément je l’avoue. La différence c’est que l’Atlantique a quand même quelque chose de plus familier. Il borde nos côtes mine de rien, je le connais.

Donc l’Atlantique c’est grand mais le Pacifique c’est plus grand et plus loin de « chez moi ». C’est ma limite sans doute… C’est trop grand, c’est trop loin. J’ai l’impression d’un gouffre qui pourrait m’aspirer, une impression de fin du monde, de néant. Pire : d’oubli.

Quand tant de monde rêve des îles perdues dans le Pacifique moi pas du tout. D’ailleurs, je parle d’îles perdues et non d’îles paradisiaques vous remarquerez… Ce serait ma hantise un séjour là-bas. J’aime les îles. Enormément mais je les aime pas trop loin des continents ou de taille conséquente. L’idée de me retrouver sur une île « trop petite » au milieu du Pacifique « trop »  grand me met dans un état de stress. Telle collègue me parle de son anniversaire qu’elle a passé aux îles Cook. Tel autre me raconte son voyage de noces en Polynésie Française ou encore telle famille de voyageurs me parle de son escale aux îles Fidji. J’écoute. Je pose des questions. Je suis curieuse. Je veux bien savoir à quoi ressemblent ces îles de rêve mais vraiment je ne veux pas y aller. J’aurais trop peur. Perdue au milieu du Pacifique, je me sentirais trop petite, trop vulnérable. En danger.

Donc traverser le Pacifique dans tous les cas je ne l’envisageais que d’une traite, sans respirer. Pas d’escale dans ce nulle part. Je l’envisageais mais le projet me terrorisait et puis on s’est lancé. On a pris les billets d’avion il y a quelques jours : Auckland->Buenos Aires. C’est réservé. Il faut croire qu’il fallait reculer pour mieux sauter, puisque nous allons d’abord en Australie et à Bali (nous retournons donc sur nos pas) pour finalement faire le grand saut.

Pas d’assurance annulation. Alors je dois me faire à cette idée. Je vais traverser le Pacifique. Je dois m’habituer à cette réalité. Je dois me projeter. C’est pour cela que je vous en parle aujourd’hui. Parce que je vais le faire – comme lorsque petite je montais au plongeoir 10 mètres à la piscine et qu’une fois là-haut je ne voulais plus sauter – je finissais par trouver l’élan. Sans réfléchir. Voilà, la solution est en partie là. Ne pas réfléchir, se laisser porter, voler et le traverser. Cet océan. Pacifique.

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